23 mai 2006

Et j'attends ta lettre Anne de Nîmes

Les boîtes à chaussures ont toujours une deuxième vie. Et des fois, la deuxième est bien plus palpitante que la première. Mes boîtes à chaussure abritent des lettres.

Les lettres, on. On les relit quelquefois, quand c'est un peu triste, ou quand on ne sait plus trop ce que devient la personne, et ça fait quelque chose d'amer dans la bouche. On en oublie certaines, on les redécouvre par hasard.

Les lettres sont des écrins à souvenirs.



Ca commence comme si de rien. Parfois on ne s'en aperçoit même pas. On se retrouve le stylo à la main, la date déjà écrite en haut de la feuille. On ne réfléchit pas. D'autres fois, c'est une envie ; un besoin. Quelque chose qui nous traverse, ou bien qui nous trotte dans la tête depuis quelques temps. On a quelque chose à dire, ou bien rien, mais on se dit qu'on trouvera toujours, puisqu'on le veut, et c'est déjà ça.

On choisit le lieu. Une table de la cafétaria, le lit, le parquet, le bureau aussi, quelquefois. Le bus, mais l'écriture sera tordue. Assise en tailleur contre le mur, recroquevillée sur un siège, allongée dans l'herbe.

On choisit le papier. Feuille quadrillée, ou à lignes, blanche ; de couleur ; brouillons de partiels non utilisés, carte postale, feuille à dessin, papier à lettres.

Quelquefois, on choisit de glisser quelque chose avec. Des sourires, une photographie, des mots recopiés avec application d'un bouquin dont on a corné une page, un colis, un cd dans du papier bulles, des caramels, des feuilles photocopiées en vitesse à la BU après le repas de midi, une partition, un collage, un livre.

Je t'écris parce que je voudrais te dire, parce que je t'aime, parce que tu sais j'ai pensé à toi, parce que je me suis dit que, parce qu'il fallait que je te raconte, parce qu'aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres, parce que j'aimerais te voir, parce que ça fait longtemps, parce que je regrette, parce qu'il faut qu'on se quitte, parce que je voulais te remercier pour, parce que je n'arrive pas à te le dire quand on se voit, parce qu'à l'écrit c'est plus facile, parce qu'on est trop loin, parce qu'on s'est engueulés et que je ne voudrais pas que, parce que tu me manques.

On choisit de dire les choses, ou de les taire, on écrit à la va-vite, ou bien avec application, lentement en cherchant ses mots, ou très rapidement parce qu'il y a trop d'idées en même temps, on sourit en traçant les lettres. (Quelquefois on pleure).

On choisit l'enveloppe. Les longues blanches du placard de la chambre d'à côté, très administratives. Les colorées de la boîte à rayures vertes, à côté du bureau. Bleu ou carmin ? On en fabrique, c'est encore mieux. Feuilles de journal, feuille canson, pubs de magazine, papier calque, photos découpées, collage.

On écrit l'adresse, on colle le timbre. On la laisse sur la table de la cuisine, "tu pourras la poster s'il te plaît ?", ou bien on passe devant la boîte aux lettres, celle au coin de la rue, ou devant la fac, on la dépose, avec nonchalance, envie, indifférence, malice.



Et à partir de là, on ne choisit plus rien.